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Que s'est-il passé dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne ?

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Dimanche dernier s’est tenu le deuxième tour de l’élection législative partielle dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. J’ai déjà écrit des choses sur le premier tour de cette élection, donc je n’y reviens pas et ne rappelle pas ici le contexte et les forces en présence. Je voudrais simplement présenter une estimation des reports de voix entre les deux tours, en utilisant exactement la même méthode que pour la législative partielle de la 2e circonscription de l’Oise.

Précisons d’emblée que les mêmes réserves s’appliquent (ce sont des estimations, c’est de l’inférence écologique, donc pas de certitude absolue). Après la publication de ma précédente note, une controverse s’est engagée avec le Parti socialiste, au travers d’une note publiée par la Fondation Jean Jaurès et signée par Jérôme Fourquet (de l’IFOP) et Christophe Borgel (secrétaire national aux élections du PS). Celle-ci conteste mes chiffres, en s’appuyant sur un dépouillement partiel des listes d’émargement effectué par les militants socialistes de la circonscription concernée. Ce dépouillement indique (sur 84 % des bureaux de vote) que 19,8 % des votants du premier tour se sont abstenus au second, alors que mon estimation était de 12,1 %. Indéniablement, cette information supplémentaire est précieuse et permet d’améliorer les estimations. Ce qui est regrettable toutefois, c’est que Fourquet et Borgel refusent de communiquer leurs données brutes, malgré mes demandes (ce qui m’aurait permis de refaire tourner mon modèle en tenant compte de ces données supplémentaires, pour en mesurer l’impact sur les estimations de report), et qu’ils utilisent un modèle (« Développé par la société de traitement de données ADN ») dont on ne sait absolument rien (je n’ai trouvé aucune information à ce sujet sur le web). C’est le signe, au mieux, d’une absence de culture du débat scientifique et de l’open access au PS (ce qui expliquerait d’ailleurs beaucoup de choses quant aux positions prises par ce parti dans les débats parlementaires sur l’université ou la protection de la propriété intellectuelle), au pire du fait qu’ils n’ont eux-mêmes guère confiance dans leurs résultats. Au passage, il est d’ailleurs amusant de constater qu’avant de signer cette note, Jérôme Fourquet avait repris mes chiffres en les confirmant dans une précédente note

Venons-en donc au fait. Comme on sait, le candidat UMP, Jean-Louis Costes, l’a finalement emporté avec plus de 53 % des voix face à Étienne Bousquet-Cassagne, le candidat du FN, dans un contexte de nette progression de la participation (presque sept points de plus, soit environ 5.000 votants supplémentaires). Le candidat du FN, qui n’avait sur le papier pas de réserves de voix, réalise une belle progression : il gagne plus de 7.000 voix, soit plus de vingt points en % des exprimés. Le candidat UMP gagne lui environ 8.500 voix, mais avec des réserves théoriques bien plus importantes. Phénomène intéressant, les bulletins blancs et nuls ont atteint plus de 14 % des inscrits (plus de 5.600 bulletins, 4.000 de plus qu’au premier tour), ce qui est tout-à-fait extraordinaire.

La question se pose donc à nouveau de savoir d’où vient la progression du FN : nouveaux électeurs ou électeurs PS (et autres) du premier tour ? Ou plutôt, dans quelle proportion chacun de ces phénomènes a-t-il joué ? (Avant même que les résultats détaillés aient pu être analysés, Bruno Le Roux, le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, semblait avoir une idée bien précise, bien que peu subtile, de la réponse).

Comme tous les graphiques et résultats sont disponibles sur mon github, je ne présenterai ici que ceux nécessaires à ma démonstration.

La thèse principale que je défends est la suivante : cette élection s’est jouée avant tout sur l’implantation territoriale (comme je l’ai déjà indiqué dans ma note sur le premier tour – entre temps, j’ai appris ici que le canton de Fumel dans lequel est élu Jean-Pierre Costes (UMP), et qui a massivement voté pour lui au premier tour, est normalement le canton le plus à gauche de la circonscription) ; au second tour, les électeurs socialistes se sont assez largement portés soit sur le vote blanc et nul, soit sur le candidat UMP. Contrairement à ce qui s’était passé dans l’Oise, la progression du Front national est principalement liée à la mobilisation d’abstentionnistes du premier tour.

Voici d’abord les résultats de l’estimation pour l’ensemble de la circonscription, en part des votes du premier tour et en voix.

 
Abstention
BN
Bousquet
Costes
Voix
Abstention 79% 1% 10% 11% 40826
BlancsNuls 17% 27% 31% 25% 1640
autres 24% 9% 35% 32% 3321
Bousquet 6% 4% 83% 7% 8552
Loiseau 19% 29% 28% 24% 1670
Feuillas 23% 28% 21% 27% 914
Costes 4% 3% 5% 88% 9431
Carpentier 26% 23% 27% 25% 1078
Barral 11% 37% 20% 32% 7782
Voix 35768 5605 15653 18188 75214

 
Abstention
BN
Bousquet
Costes
Voix
Abstention 32067 425 3985 4349 40826
BlancsNuls 281 441 511 407 1640
autres 801 306 1150 1064 3321
Bousquet 549 324 7066 614 8552
Loiseau 325 480 472 393 1670
Feuillas 211 260 192 250 914
Costes 396 310 452 8274 9431
Carpentier 281 245 288 265 1078
Barral 886 2842 1533 2521 7782
Voix 35768 5605 15653 18188 75214

J’estime donc que la part des électeurs Barral (PS) du premier tour s’étant portés sur le FN tourne autour de 20 %. Soit bien moins que ceux qui ont voté blanc ou nul (37 %) ou Costes (UMP, 32 %). Et leur mobilisation est bonne : 11 % seulement se seraient abstenus. Il semblerait aussi que les électeurs ayant choisi d’autres candidats au premier tour que les trois principaux auraient eu davantage tendance à voter pour Bousquet-Cassagne que ceux de Barral.

Il reste toutefois à tenir compte de l’incertitude de ces estimations. Elle est, concernant le report des voix des électeurs de Barral au premier tour, assez élevée (voir par exemple ci-dessous la densité des estimations des reports Barral sur Bousquet-Cassagne). Les chiffres doivent donc être interprétés avec prudence ; mais les tendances demeurent et, qui plus est, sont très similaires dans l’ensemble des cantons.

density.beta.Barral.Bousquet2

On peut aussi comprendre ce qui s’est passé de manière simple grâce à de simples nuages de points.

La participation progresse le moins là où Barral faisait ses meilleurs scores au premier tour :

graphique.Barral.progAbstention

À l’inverse, les blancs et nuls progressent là où le vote Barral était fort :

graphique.Barral.progBN

tandis qu’on n’observe pas de corrélation entre vote Barral et progression du vote Bousquet-Cassagne :

graphique.Barral.progBousquet

Pour conclure (provisoirement, sans doute…), on ne peut pas dire que la consigne de Front républicain ait pleinement fonctionné, puisqu’environ un tiers seulement des électeurs socialistes du premier tour ont suivi la consigne de voter pour le candidat UMP. Mais on ne peut pas non plus dire que ces électeurs aient massivement cédé aux sirènes du FN, puisque seuls un cinquième environ d’entre eux l’ont fait.

Reste que ce réservoir d’électeurs socialistes du premier tour était déjà très faible. Il est donc possible qu’une partie d’électeurs choisissant parfois les candidats socialistes se soient portés sur le FN dès le premier tour. Mais il semble bien qu’ici, ce soit surtout l’abstention différentielle qui ait joué à plein. Or, en investissant un candidat sans fief, sans implantation locale, le PS s’est tiré une balle dans le pied, surtout face à un candidat UMP maire et conseiller général du canton normalement le plus à gauche de la circonscription, qui assèche dès le premier tour le vivier de voix de gauche dans ce territoire. Finalement, pas particulièrement d’effet Cahuzac ici, la dynamique de la défaite socialiste est terriblement classique : un mauvais choix de candidat, dans un contexte globalement défavorable. La dynamique est exactement inverse pour le Front national : un candidat médiatisé et doté d’un nom connu dans la circonscription, de plus doté de capitaux militants (Bousquet-Cassagne est notamment secrétaire départemental du FN) qui parvient à mobiliser son électorat potentiel à la fois grâce au contexte et surtout grâce à une réelle mobilisation du parti, dont tous les leaders nationaux sont descendus à Villeneuve-sur-Lot.

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